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Martes 17 de julio 2012

Le Paraguay, épicentre inattendu d'une onde de choc intercontinentale

Por: Jean-Jacques Kourliandsky, Investigador en el IRIS
Le Paraguay, épicentre inattendu d'une onde de choc intercontinentale
Foto: Difusion

Le 22 juin dernier, Fernando Lugo, président du Paraguay depuis le 20 avril 2008, a été démis de ses fonctions par le parlement de son pays, dans une certaine discrétion médiatique occidentale. La décision a en revanche provoqué une série de réactions diplomatiques et politiques en domino dans les Amériques. Le silence européen, finalement bruyant de conséquences, et les contre-mesures adoptées ostensiblement outre-Atlantique, sont révélateurs, bien au-delà de ce petit pays, de l’évolution du monde.

En dehors de quelques voyageurs et universitaires particulièrement curieux, le Paraguay est en effet souvent absent des agendas internationaux et oublié par les médias. Et quand le hasard l’impose à la Une, certains le confondent avec l’Uruguay. L’actualité paraguayenne, ces dernières années, s’est limitée au compte-rendu un tantinet voyeuriste de la vie génitrice atypique d’un président d’origine ecclésiastique, l’ex-évêque Fernando Lugo. Son éviction politique, celle d’un défroqué sexuellement libéré, a relevé pour beaucoup de gazettes européennes de la comédie de mœurs, c’est-à-dire du fait divers.

Quelques vérités premières auraient mérité un regard plus attentif. Dans sa vie diocésaine, l’ex-monsignore avait aussi été adepte de la théologie de la libération, ce qui lui avait valu d’être sollicité électoralement en 2008 par les formations de gauche locales, nombreuses, sans troupes, et sans chef charismatique. Son passé de dignitaire religieux des pauvres, avait gommé son vécu d’homme à femmes, d’autant plus aisément que le pays, ayant subi un déficit masculin brutal à l’issue d’une guerre avec ses voisins à la fin du XIXe siècle(1), est sur ce sujet-là assez tolérant. Mais élu président, et aussitôt entré dans le cercle des contestataires d’Amérique latine, il a heurté le savoir vivre politique et social des notables bien-pensant paraguayens.

Or il était, dès son élection en 2008, le maillon le plus excentré de ce cercle honni par tous les nostalgiques d’anciens régimes. Elu pour mettre en œuvre une démocratie plus juste, pour faire une réforme agraire, il n’en a jamais eu les moyens parlementaires. La droite locale, qu’elle soit colorada, héritière de l’ancien dictateur Alfredo Stroessner, ou qu’elle se dise libérale, disposant d’une majorité parlementaire écrasante, ne voulait pas entendre parler de démocratie sociale. Pas plus qu’elle ne voulait donner son feu vert au traité sanctionnant l’adhésion du Venezuela au Mercosur, le Marche commun du sud. Excédé par cet immobilisme, ceux qui avaient voté pour Lugo président ont tenté de forcer les choses en occupant les terres de grands propriétaires. Le 15 juin 2012, paysans sans terre et policiers se sont affrontés dans un domaine appartenant à l’une des grandes fortunes du pays, M. Blas N. Riquelme, par ailleurs membre éminent du parti colorado. 11 paysans et six policiers sont morts le jour même au lieu dit Curuguaty. Sept jours plus tard, colorados et libéraux ont saisi l’aubaine de ces morts pour faire tomber un président jugé incompétent par 39 voix contre 4 et 2 abstentions.

Les pays du Mercosur, Argentine, Brésil et Uruguay, ont immédiatement suspendu le Paraguay. Dans la foulée, ils ont décidé l’admission pleine du Venezuela. L’Unasur, l’Union des nations d’Amérique du Sud a fait de même. Ce qui veut dire que la condamnation a débordé les frontières des pays bolivariens, et a concerné aussi ceux qui se définissent comme souverainistes, Brésil et Pérou, ou même libéraux, comme le Chili et la Colombie. Au-delà de ces pays, plus au nord, le Mexique a signalé ses réserves et les Etats-Unis leur perplexité. L’OEA, l’Organisation des Etats Américains, a dépêché son secrétaire général sur le terrain. La Celac, Conférence des Etats latino-américains et de la Caraïbe, a été saisie. Le positionnement interaméricain, critique à l’égard des parlementaires paraguayens, rappelle celui suivi en 2009, après l’éviction judiciaire du président du Honduras, Manuel Zelaya. Dans un cas comme dans l’autre, un habillage institutionnel, respectueux de la petite lettre de la loi (l’article 225-Section VI de la Constitution dans le cas paraguayen) en a dévoyé l’esprit. Les secteurs les plus hostiles à toute forme de démocratie sociale, tordent les lois dans un sens convenant à la défense de leurs intérêts. Mais le souvenir des années noires, celui des dictatures, a marqué les mémoires collectives. Elle permet de comprendre pourquoi la quasi totalité des acteurs politiques a considéré que les évènements du 22 juin 2012 pouvaient être qualifiés de coup d’Etat légal (de Golpe blando). Seule l’opposition vénézuélienne a manifesté son soutien aux nouvelles autorités paraguayennes. Il est vrai qu’en avril 2002, elle avait adoubé à mots couverts une tentative voisine de putsch constitutionnel anti-Chavez.

Le silence européen, est dans un tel contexte criant de vérités. Celle tout d’abord d’une confirmation géopolitique. L’Europe, est, depuis l’effondrement de l’URSS, accaparée par elle-même. Les séquelles de l’hétérogénéité d’une union mal préparée, accentuées aujourd’hui par les soubresauts d’une crise financière et économique plus pérenne que conjoncturelle, font qu’elle n’a plus la capacité de regarder au-delà de ses limites. Pressée sur ses marges méditerranéennes et africaines, qu’elle n’est plus en mesure de contrôler en dépit d’opérations coups de poing hasardeuses, comment pourrait-elle dire son mot sur un au-delà transatlantique ? Ce silence est par ailleurs révélateur d’une autre vérité, celle d’un continent ayant, depuis la chute du mur de Berlin, dérivé sur sa droite idéologique. Les années Bush, la pénétrante est-européenne, la crise économique prolongée, ont cassé le thermomètre communautaire. L’Europe a glissé vers un occidentalisme alimenté par de puissants relais médiatiques et culturels. Difficile avec de telles lunettes de voir, et donc de comprendre, les évènements d’Asunción et leurs répercussions américaines. Telle la barcasse de pierre imaginée par le Nobel portugais José Saramago, la caravelle Europe a bel et bien rebroussé l’Atlantique(2). 

(1) La guerre de la Triple Alliance (1870)
(2) José Saramago, Le radeau de pierre, Seuil, 1990

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